Le temps des archipels

Publié le par Jacques Lambert

Un nouveau rapport au territoire et aux autres

 

La téléphonie mobile, Internet, l’extension du réseau TGV, les vacances, l’accroissement du temps libre, la démocratisation des voyages en avion, la généralisation de l’usage des automobiles… autant de moyens de déplacements physiques et virtuels qui ont radicalement changé notre rapport au territoire et… aux autres…

 

En effet, en France, jusque dans les années 60, les individus vivaient en famille en s’inscrivant dans un territoire (en 1936 un individu parcourait en moyenne 5 km par jour)[1].

Cela pouvait être le village ou le quartier.

 

On y trouvait les commerces (qui ne s’appelaient pas encore « de proximité »), l’école, la mairie, la famille, les amis, les voisins et surtout le travail. Tous ces lieux de vie qui étaient des lieux de vie communs, partagés par tous les membres d’une famille et qui, de fait, amenaient chaque membre d’une famille à fréquenter un même réseau relationnel, stable et géographiquement ancré, donc nécessairement « fini » et délimité. La dimension collective du réseau relationnel l’emportait largement sur sa dimension individuelle.

 

D’ailleurs, chacun savait bien qu’il était sous la surveillance du regard de ce réseau qui forcément émettrait avis et jugements sur ses comportements individuels… et aiderait au maintien d’un certain nombre de valeurs collectives et au respect des règles allant avec.

 

Peu à peu, l’arrivée de moyens de transports plus rapides va permettre à chacun d’accroître son rayon d’action (en 2000 un individu parcourait en moyenne 38 km par jour)[2] tandis que l’explosion du travail féminin en dehors du foyer va amener les femmes à nouer des relations dans un environnement au-delà du périmètre initial.

 

L’individualisation des moyens de transport (les automobiles mais aussi la densification du maillage des réseaux des transports en commun) vont rendre possible que chacun des membres de la famille « vive sa vie » dans des lieux qu’il ne va pas partager avec les autres membres de sa famille.

 

Des lieux « à soi » avec des relations « à soi ».

 

Le père et la mère travaillant dans des endroits différents et géographiquement éloignés, les enfants allant souvent chacun dans son école, chacun faisant ses achats quelque part sur le trajet reliant le travail au domicile, chacun s’adonnant aux loisirs qu’il préfère…

 

Il s’ensuit le développement d’une plus grande indépendance de vie de chacun des membres de la famille par rapport aux autres, mais aussi la constitution par chacun de réseaux relationnels personnels non totalement  partagés avec les autres membres de la famille et donc au moins partiellement « hors leur regard » ce qui veut dire aussi hors leur contrôle…

 

Les « Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication » viennent alimenter et accentuer le phénomène, puisque grâce à elles, chacun peut être ailleurs sans avoir besoin de se déplacer, et donc nouer des relations à distance et à l’infini… en s’affranchissant et du temps et de l’espace.

 

D’individualisé, le territoire (et le réseau relationnel qui en découle) devient mobile et virtuel.

 

C’est ainsi que chacun devient un voyageur dans sa vie, qui parcours et dessine une géographie « en archipel » qui lui est propre, au fil des lieux qu’il fréquente et des relations qu’il y noue. Pluralité des lieux, des rencontres, des expériences, des opportunités aussi, donc des bifurcations et des « changements de choix »[3]

 

Nombre des « trentenaires » actuels témoignent du fait que dans un couple, les relations de l’un ne sont pas forcément les relations de l’autre et qu’elles ne se croiseront pas forcément dans la vie du couple (sauf lors d’un moment exceptionnel :  une cérémonie de mariage par exemple…).

 

Ce n’est donc plus la présence commune sur un territoire qui va assurer la pérennité du réseau relationnel, mais la volonté de l’individu à maintenir (ou pas) son réseau relationnel personnel.

 

L’individu devient à la fois le découvreur de ses archipels relationnels mais aussi la seule clef de leur survie ; il en est à la fois le centre et le garant tant que durera sa volonté de continuer à les faire exister… avec les indispensables outils que sont les NTIC pour les gérer, les maintenir, ou les dissoudre.

 

 

Comment relier les réseaux à soi avec les nécessaires réseaux collectifs ?

 

Cette culture de la mobilité et du relationnel en réseau est importée aujourd’hui par les jeunes générations dans nos organisations.

 

Ils ne se contentent plus du périmètre restreint de l’équipe ou du service. Ils ont ce goût du voyage, de l’exploration, de la découverte et de la rencontre.

 

 

Quelques questions pour le management

 

Quels parcours mettre en place dans l’entreprise pour leur permettre de créer leurs archipels ?

 

Quelles rencontres favoriser qui leur permettent de nouer les relations pour apprendre, échanger et confronter ?

 

Quelle géographie l’entreprise va-t-elle devoir imaginer pour relier ces archipels entre eux et les « maintenir » en un « tout » suffisamment cohérent pour permettre l’indispensable verticalité que nécessite le gouvernement d’entreprise ?



[1] In Jean Viard. Eloge de la mobilité. Ed de l’Aube 2006

[2] Ibidem

[3] Par exemple l’évolution du taux des divorces qui sanctionnent bien un changement de choix de vie qui est fait par un individu à un moment de sa vie, le plus souvent sous l’influence de nouvelles rencontrent. (de 30000 divorces en 1999 à 117 000 en 2000. Source INSEE

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