Tatouages, piercings et autres marques corporelles. (3)

Publié le par Jacques Lambert

 Une autre lecture possible de cette propension au marquage de son corps par les membres des deux plus jeunes générations peut partir de deux  observations :

 

1) la peau constitue l'enveloppe du corps, le protège, le délimite et est aussi l'interface entre soi et le monde.

 

2) la peau, très innervée est extrêmement sensible et toute agression de l’enveloppe cutanée provoque de la douleur.

 

Or, tatouage, piercing, burning, scarification, aucune de ces pratiques n'est indolore.

 

S'adonner à ces pratiques équivaut à se mettre en situation de ressentir dans la douleur et par la douleur, les limites de son corps. La frontière entre soi et le monde, l'interface entre soi et les autres. Mais aussi à tester sa résistance à la douleur.

 

Comment dès lors ne pas penser avec Jean Pierre Lebrun[1] à ces enfants surpuissants, élevés par des parents coincés dans une relation inconditionnelle, qui n'osent plus leur dire "non" ; tolérants car permissifs jusqu'à l'excès. Incapables de leur fixer des limites claires et non négociables qui seraient relayées par des figures d'autorités incontestées, d’ailleurs aujourd'hui quasi inexistantes.

 

Lâchés en la matière par les institutions d'une société en quelque sorte en panne de transmission de modèles d'autorité. Ah le fameux "il est interdit d'interdire" et ses conséquences en matière de relativisme de la loi, des devoirs et des obligations envers les autres... Comment se repérer et se frotter aux autres s'il n'y a que jouissance de  droits individuels et absence ou négation de contraintes partagées ?

 

Face à cette absence, comment s'éprouver, comment se confronter, comment se construire sans limites ? Comment ressentir sa propre consistance et celle des autres ?

 

Devant ce flou des limites à sa liberté individuelle que la société n'ose plus ou ne souhaite plus lui imposer, resterait à l'individu son corps pour trouver ses propres limites, pour éprouver quelque résistance. La seule frontière tangible à respecter ou à chercher à transgresser.

 

Et si tout ce "travail" sur soi était aussi destiné à éprouver ses propres limites et à prendre la mesure de soi et de ses capacités ?

 

Il ne s'agirait plus alors seulement d'exister sur les marchés de la société contemporaine mais aussi de se prouver à soi même qu’on existe dans un rapport différencié aux autres et au monde.

 



[1] Jean Pierre Lebrun. La perversion ordinaire. Paris. Denoël 2007.

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